La Ligue des opéras
Date
1744
Lieu
Foire Saint-Laurent
Sources
BHVP NA 228, autographe ; BnF fr. 9337, ff. 344-349v
Texte
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Remarques
Cette petite pièce nous est connue par trois manuscrits et deux titres : La Ligue des Opéras (BHVP NA 228, autographe, et BnF fr. 9337, ff 344-349v) et L’Union des Opéras (Bibliothèque-Musée de l’Opéra de Paris, fonds Favart, Carton II, III) ; les deux textes sont en fait assez différents et n’ont en commun que quelques passages.
Deux manuscrits sont intitulés La Ligue, BHVP NA 228 et BnF fr. 9337 ; ils donnent le même texte. L’un, BHVP NA 228, est autographe de Fuzelier, et présente quelques ratures, Fuzelier a modifié le texte ; le second manuscrit donne alors la version corrigée, définitive. La page de titre de ces deux manuscrits indique « joué à la foire Saint-Laurent 1744 par les comédiens de bois ».
Une pièce d’abord envisagée pour les Italiens
Au fo 350 du portefeuille BnF fr. 9337, on remarque cette page, autographe :La Ligue des opéra
L’Op. sérieux chantant, airs de l’opéra, M. Rochard
L’Op. Com. chantant vaud. M. Deshaies
Terpsichore Me Silvia
La Com. Italienne, la signora Coraline suivie d’Arlequin
Et Scap.
Ballet héroïque mêlé de zan[n]i qui contrefont les beaux danseurs
M. de la Cabriole arl. maître de ballet [mot illisible] tout ce que j’ai dit sur la danse
Il s’agit manifestement de notes sur ce que Fuzelier souhaitait placer dans la pièce, ce qu’il n’a finalement pas fait. La présence dans cette liste de Silvia et de Coraline indique donc que, dans un premier temps, La Ligue des Opéras était destinée aux Comédiens Italiens.
La lecture des textes montre qu’il faut rapprocher La Ligue et L’Union des Opéras de La Toilette de Vénus. En effet, la page de titre de cette dernière pièce indique qu’elle a été écrite pour la Comédie-Italienne ; le scripteur note que « l’auteur en a pris des scènes qu’il a depuis fait représenter aux marionnettes sous le titre de Polichinelle maître d’école en 1744 » ; pourtant, rien n’est commun entre Polichinelle maître d’école et La Toilette de Vénus, alors que quelques passages de La Ligue et L’Union des Opéras en proviennent directement. C’est le cas de la scène 13 dont les couplets et certaines répliques de prose se retrouvent tantôt dans L’Union et La Ligue des Opéras, tantôt seulement dans La Ligue.
Nous formons l’hypothèse que les Comédiens Italiens, pour qui Fuzelier projetait La Ligue des Opéras et La Toilette de Vénus, ont-ils d’abord refusé cette seconde pièce, ce qui a dissuadé l’auteur de finaliser La Ligue pour eux et fait prendre à la pièce un tour différent.
Deux pièces différentes
Il toutefois est difficile de discerner ce qui a été joué par les marionnettes : les textes de La Ligue et celui de L’Union présentent certes plusieurs couplets et quelques propos identiques, les deux pièces sont assez différentes. Ainsi, même si les deux pièces mettent face à face l’Opéra-Comique et l’Opéra sérieux, les propos qu’ils s’échangent divergent. Certains éléments changent de place dans la pièce.
L’intrigue diverge également d’une pièce à l’autre. Dans L’Union des Opéras, l’Opéra-Comique et l’Opéra sérieux ont du mal à s’entendre et c’est à l’instigation de Polichinelle, déguisé en « berger de La Villette », qu’ils finissent par s’associer ; inversement, dans La Ligue, les deux opéras s’unissent contre Polichinelle et la pièce finit par la bataille que les deux camps se livrent — et que Polichinelle remporte.
À la foire Saint-Laurent de 1744, cette union de l’Opéra-Comique à l’Académie royale de musique n’est plus seulement celle de la location du privilège : elle devient complète. Il avait été décidé, le 30 mai 1744, suite aux grands succès de Favart sur la scène de l’Opéra-Comique, d’annuler le privilège détenu par Monnet pour faire gérer l’Opéra-Comique directement par l’Académie royale de musique :
le suppliant a reconnu que ce bail était préjudiciable à ladite Académie royale ; il a cru qu’il était plus convenable à l’intérêt de l’Académie qu’il fît régir par lui-même ledit Opéra-Comique [...] et à cet effet, demander la résiliation du bail passé audit Monnet. [...] Vu ladite requête, le Roi, étant en son conseil, a ordonné et ordonne que le bail passé audit Monnet par le sieur de Thuret le 28 mars 1743 demeurera nul et résolu, ensemble tous les baux et traités qui peuvent avoir été faits par ledit sieur de Thuret [...] et ce, à compter d’aujourd’hui. (Campardon, II, 2, 140-141)
À la foire Saint-Laurent de 1744, l’Opéra-Comique fut donc administré par Favart lui-même, pour le compte de l’Académie royale de musique.
Dans L’Union des Opéras, seul Dardanus est critiqué, par Polichinelle, on l’a vu ; dans La Ligue, l’opéra personnifié se présente en personne, pour demander de n’être pas parodié, et c’est l’Opéra-Comique qui lui dit règle son sort (sc. 4), après avoir aussi expédié Paméla (sc. 3), qui avait donné lieu à une pièce de La Chaussée à la Comédie-Française ; cette pièce fait la même demande, et l’Opéra-Comique se contente de la renvoyer sans presque la critiquer : elle n’a pas eu de succès et se trouve donc par là garantie de toute parodie.
La Ligue des Opéras présente donc une intrigue plus diverse, tandis que L’Union évoque tout au long l’association des deux théâtres chantants, que divers personnages — l’Éveillé, personnage de La Chercheuse d’esprit de Favart, Gille, puis enfin Polichinelle — viennent conseiller.
Il nous semble très probable que les deux états du texte ont été joués à deux moments différents de la foire Saint-Laurent de 1744 ; nous ne saurions cependant déterminer laquelle fut le remaniement de l’autre. Tout au plus peut-on noter que le couplet sur Dardanus est amené de la même manière dans La Toilette de Vénus et L’Union ; on peut alors supposer que La Ligue est un remaniement de morceaux de L’Union réalisé plus tard pendant la foire, pour, en quelque sorte, lui faire suite : après l’association de l’Opéra-Comique et de l’Académie royale de musique, les deux théâtres se liguent pour nuire à Polichinelle. Ceci reste cependant hypothétique et nous n’avons pas d’argument absolument définitif pour l’assurer.
Enfin, puisque Les Grâces ont reparu sur le théâtre de l’Opéra le 7 juillet, La Toilette de Vénus ne peut pas leur être antérieure ; on peut alors supposer que L’Union puis La Ligue des Opéras ont pris la suite aux marionnettes de Polichinelle maître d’école, parodie de L’École des amants, opéra représenté depuis le 11 juin et dont Fuzelier pouvait bien avoir écrit la parodie en même temps que le livret : il était le mieux placé pour le connaître à l’avance.
Édition
Cette pièce a été éditée par Françoise Rubellin dans Marionnettes du XVIIIe siècle. Anthologie de textes rares (Espaces 34, 2022). L’édition ici proposée, antérieure, n’a pas pris en compte les acquis de celle de F. Rubellin. Elle pourra faire l’objet d’une mise à jour ultérieure.